19 août 2019

Valoris, Valoris, encore Valoris

Avec le rapport accablant livré par la vérificatrice générale de la Ville de Sherbrooke sur Valoris, il serait facile de se dire « on met la hache dans Valoris ». On aimerait tellement fermer les yeux et faire comme si ce cauchemar n’avait jamais existé! Malheureusement, le problème ne disparaîtra pas en fermant les yeux, et il sera encore là quand on les ouvrira…

Pour pouvoir identifier les solutions possibles à ce problème monumental, il faudra que tous et toutes puissent mettre la main à la pâte et ce, avec toute l’information en mains. C’est pourquoi la chef de Sherbrooke Citoyen a proposé en juin que les élu.e.s de Sherbrooke et des municipalités du Haut-Saint-François reçoivent la documentation qui est mise à la disposition du conseil d’administration de Valoris. Cette proposition sera étudiée lors du conseil d’administration de la régie qui se tiendra le 22 août prochain et à laquelle se présentera Sherbrooke Citoyen.

Néanmoins, nous avons cru bon de vous livrer ce billet afin de contribuer à la démystification de la situation de Valoris.

Petit rappel

Avant toute chose, il est bon de rappeler comment sont gérées nos matières résiduelles à Sherbrooke. En résumé, le bac brun est envoyé à une plateforme de compostage, le bac vert est envoyé chez Récup-Estrie (une régie intermunicipale de six MRC) et le bac noir est envoyé chez Valoris (une régie intermunicipale de la Ville de Sherbrooke et de la MRC du Haut-Saint-François). En plus des bacs noirs des municipalités de la régie, Valoris reçoit des déchets de différentes compagnies. Situé à Bury, sur le territoire du Haut-Saint-François, Valoris est constitué, d’une part, d’un site d’enfouissement et, d’autre part, d’un centre de tri : de la machinerie qui trie ce qui devrait être enfoui et ce qui est récupérable.

Avant la création de Valoris en 2010, la Ville de Sherbrooke envoyait ses déchets directement à l’enfouissement et payait environ 80 $ la tonne. L’idée derrière Valoris était d’enfouir moins en extrayant de nos bacs noirs des matières valorisables, par exemple les matières organiques. À l’origine, c’était supposé revenir moins cher que ce qu’on payait ailleurs, soit autour de 50-60 $ la tonne (le tarif actuel est de 237 $ la tonne… légère erreur de prédiction).

Au fil du temps, de plus en plus d’indices indiquaient que ça n’allait pas très bien chez Valoris, jusqu’au point où le conseil d’administration de l’organisme a demandé à la vérificatrice générale (VG) de la Ville de Sherbrooke de faire un état de la situation. Cette dernière a présenté son rapport le 3 juillet 2019, et elle identifie plusieurs choses qui ne tournent pas rond chez Valoris, dont quelques-unes que nous vous présentons ci-bas.

Le modèle d’affaires

Le modèle d’affaires sur lequel se sont basés les décideurs pour se lancer dans l’aventure laissait croire à une organisation qui présenterait des gains environnementaux et financiers importants. La Ville de Sherbrooke faisait le pari qu’il serait possible de valoriser une bonne partie du contenu de nos bacs noirs, et a malheureusement perdu son pari.

Source : La Tribune, 30 Novembre 2012

Lors de la création de la régie, on prévoyait recevoir 100 000 tonnes de matières, réparties ainsi :

En moyenne, on pensait donc valoriser environ 70 % des matières, mais finalement, ce n’est que 22 % des matières reçues qui ont été valorisées : trois fois moins que prévu! Moins de matières valorisées implique moins de revenus et un site d’enfouissement qui se remplit bien plus vite.

Source : La Tribune, 3 juillet 2013

D’autre part, lors de la construction du centre de tri de Valoris, il y a eu des dépassements de coûts importants : 6 M$ de dépassements pour un projet qui devait coûter 29,1 M$, soit 21% de dépassements! Parfois, dans les projets de construction, les dépassements de coûts sont dus à des situations imprévisibles, mais souvent, c’est aussi parce que le chantier et le projet n’ont pas été suffisamment suivis de près. Est-ce que c’est ce qui s’est passé chez Valoris? On ne le saura sans doute jamais, mais considérant ce qui s’est passé depuis la création de la régie en 2010, plusieurs doutes planent… Un projet de construction de 29.1 M$ exige un suivi extrêmement serré. Où étaient-ils les gens qui devaient surveiller tout ça?

Une autre chose qui a été mal évaluée dans le projet de Valoris, c’est le coût de fonctionnement annuel. À l’origine, ils estimaient les dépenses récurrentes annuelles de Valoris à 2,2 M$, alors qu’elles tournent plutôt autour de 2,9 M$ (sous-estimation de 700 000 $). À cela s’ajoutent des remboursements de prêts pour environ 4,1 M$ par année, alors qu’ils pensaient que ça serait plutôt 3,2 M$ (sous-estimation de près de 1 M$ par année). En d’autres mots, au total, ils se sont trompés de près de 1,7 M$ annuels… oups! Pas étonnant de voir exploser l’endettement total net de l’organisme avec de telles erreurs de prédiction (voir graphique)!

Rapport de la vérificatrice générale de la Ville de Sherbrooke 2018, p. 134.

De mauvaises décisions de gestion

Les erreurs de gestion relevées par la VG sont nombreuses.  Cette citation tirée du rapport de la VG illustre bien la situation :

« En 2015, des retenues sur des factures d’un fournisseur s’élevant à 2 755 312 $ n’ont pas été enregistrées aux livres de Valoris. La direction estimait ne pas devoir débourser ce montant pour la fourniture d’équipements à la suite des litiges avec l’équipementier. » (page 133)

En d’autres mots, la direction n’était pas satisfaite de la performance des équipements et a donc pris la décision de ne pas payer toute la facture à son fournisseur d’équipements (un montant de 2,7 millions). Une direction prudente aurait mis cette somme de côté, sachant qu’elle finirait sans doute par devoir la verser au fournisseur un jour ou l’autre… mais non! Cet argent a plutôt servi à faire « tourner la machine » comme on dit, et le montant s’est dissipé dans les opérations de l’organisme.

Une autre erreur importante, c’est lorsqu’ils ont décidé d’enfouir plus que la limite de 40 000 tonnes qu’ils s’étaient fixés et ce, pendant trois années consécutives. C’est ce qu’on appelle de la gestion à courte vue : ça a généré des surplus financiers pendant ces années-là, mais ça a grandement écourté la durée de vie du site d’enfouissement! Nous nous retrouvons donc aujourd’hui en processus d’agrandissement du site d’enfouissement, et ce, bien plus tôt que prévu. Sans mentionner que les frais qui étaient perçus pour payer cet éventuel agrandissement n’ont pas été mis de côté comme ils auraient dus l’être, alors nous n’avons pas de réserves pour payer cet agrandissement.

La vérificatrice générale souligne également dans son rapport que la reddition de compte qui était effectuée par les gestionnaires aux décideurs était grandement inadéquate. Voici un exemple supplémentaire qui n’a pas été relevé par la VG. Rappelons-nous que le maire Steve Lussier, lorsqu’il était candidat à la mairie, répétait sur toutes les tribunes que le premier dossier auquel il s’attaquerait une fois élu serait celui de Valoris. Or, cela a pris facilement six mois après l’élection pour que la direction de Valoris ne daigne se présenter devant les élu.e.s de Sherbrooke. La présentation qui a été faite tenait sur une page : une colonne « Revenus », une colonne « Dépenses », une explication de quelque trois minutes du directeur. Les élu.e.s étaient en furie, d’autant plus qu’on semblait croire que c’était suffisant pour venir demander à la Ville 2,5 millions de dollars de fonds de roulement.

Pour se rattraper, la direction a organisé une visite de Valoris pour les élu.e.s en août 2018, où une présentation PowerPoint a été faite, mais on a catégoriquement refusé de l’envoyer aux élu.e.s. Résultat : ça aura pris plus d’un an avant que de l’information écrite digne de ce nom soit partagée aux nouveaux élu.e.s de Sherbrooke sur la situation de Valoris. En plus de cela, le fonds de roulement a été utilisé sans obtenir les approbations nécessaires et s’est retrouvé complètement à sec.

Bref, la direction de Valoris a cumulé, au fil des ans, une série de décisions de gestion désastreuses.

Un conseil d’administration qui ne joue pas son rôle

La vérificatrice générale décrit très bien les responsabilités d’un conseil d’administration (définition qui vaut d’ailleurs pour tout organisme, pas seulement pour Valoris) :

« […] le conseil d’administration d’une organisation doit mettre en place une structure de fonctionnement adéquate. Afin de la gérer, il désigne à sa tête une direction générale.

Le conseil d’administration doit également mettre en place des processus de surveillance de la direction afin de s’assurer que cette dernière atteint les objectifs fixés, gère adéquatement les priorités et met en place des contrôles internes efficaces.

Le conseil d’administration doit s’assurer que la direction lui rend compte périodiquement de l’avancement des objectifs et des résultats.

Finalement, le conseil doit fixer des critères d’évaluation et des objectifs de rendement à sa direction générale et doit vérifier si elle atteint les résultats escomptés. » (page 143)

C’est simple : la vérificatrice démontre que le conseil d’administration a failli sur toute la ligne et n’a répondu à presque aucune de ses responsabilités. Elle en donne d’ailleurs plusieurs exemples précis dans son rapport. Elle affirme que le conseil d’administration n’a pas d’orientations claires, de planification stratégique, de plan d’action, de définition des priorités… et pas de code d’éthique non plus!

Voici une illustration parmi d’autres où le conseil d’administration n’a pas été suffisamment à l’affût. Durant les dernières années, les estimations de tonnages à recevoir étaient presque toujours surestimées, surtout pour le tonnage le plus payant, celui des ICI et CRD. On ne se basait pratiquement jamais sur l’année précédente pour estimer ce qu’on allait recevoir l’année suivante. La vérificatrice donne l’exemple suivant :

« Malgré les résultats de 2015 [de 0 tonne], les prévisions budgétaires 2016 prévoyaient traiter un tonnage de matières résiduelles ICI de 25 000 tonnes. Finalement, ce sont 8 050 tonnes qui ont été traitées en 2016. » (p. 135)

C’est trois fois moins que les prévisions! Nous avons illustré graphiquement la différence entre ce qui était estimé et réalisé pour le tonnage des ICI dans le graphique suivant :

Données tirées du Rapport de la vérificatrice générale de la Ville de Sherbrooke 2018, tableau 6, p. 135.

Ces erreurs quant aux prédictions de tonnages se sont traduites par une surestimation des revenus annuels d’environ 2 M$. Ça c’était pour 2016. De 2016 à 2018, les budgets prévoyaient l’équilibre budgétaire, mais l’organisme réalisait déficit après déficit… Il est difficile de comprendre comment le conseil d’administration a pu avaler des prévisions aussi irréalistes, alors que les chiffres passés démontraient clairement que les résultats n’étaient jamais au rendez-vous.

La situation ne s’est pas améliorée depuis la nomination du nouveau conseil d’administration qui a suivi l’élection de 2017. La démonstration la plus récente est l’adoption du budget 2019, qui était tellement loin de la réalité que Valoris a dû cogner à la porte de toutes les municipalités en juin pour réclamer de l’argent supplémentaire afin de réussir à boucler l’année.

À Sherbrooke, ce sont 3,5 M$ qui ont dû être déboursés pour boucler les derniers mois de 2019, et ces 3,5 M$ se transformeront en 4,4 M$ supplémentaires récurrents pour boucler 2020 (et les années suivantes!). Ça équivaut tout simplement à 2 % d’augmentation de taxes pour les Sherbrookois.e.s.

Finalement, la vérificatrice générale dénonce aussi la culture « de la dernière minute et de l’urgence » qui prévalait chez Valoris. Il régnait un climat malsain où les documents étaient souvent présentés à la dernière minute et où on mettait de la pression pour prendre des décisions rapidement, malgré le manque d’information. Certains se rappelleront aussi de l’épisode obscure où les membres du conseil d’administration ont été contraints de signer un accord de confidentialité, leur empêchant de divulguer de l’information aux autres élu.e.s de municipalités membres de la régie. C’était du jamais vu!

Source : La Tribune, 24 août 2017

Notre vie serait bien plus facile si la solution au problème de Valoris était simple et évidente. Malheureusement, la réalité finit toujours par nous rattraper… que nous le voulions ou non, nous sommes propriétaires de Valoris, qui a aujourd’hui une dette cumulée de plus de 40 M$ que nous devrons rembourser un jour. Nous sommes propriétaires d’un site d’enfouissement qui doit être agrandi pour accueillir des déchets qui continuent d’affluer et nous possédons un centre de tri qui ne fonctionne qu’à moitié.

La première chose à faire est de changer le modus operandi habituel de Valoris en faisant preuve d’ouverture auprès de toutes les municipalités de la régie en leur partageant dès que possible un maximum d’information. Ce n’est pas le temps de laisser les élu.e.s et les municipalités dans l’incertitude.

Par la suite, ce sera le temps pour les véritables remises en question. Le modèle de Valoris est-il voué à l’échec? Faisons-nous vraiment le maximum pour le tri à la source? Sherbrooke Citoyen a toujours plaidé pour l’ajout de bacs de compost dans les immeubles à logements et pour une meilleure gestion des matières résiduelles en provenance des commerces et des industries… Il est peut-être temps que nous pensions un peu en dehors de la boîte!

© Sherbrooke Citoyen
Payé et autorisé par Mathieu Ducharme, représentant officiel de Sherbrooke Citoyen

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