Combien vaut un ou une élue ?
La rémunération des élu.e.s est un sujet très sensible pour des raisons évidentes : la population n’a pas beaucoup confiance en la classe politique et les politiciens et politiciennes se retrouvent dans la situation inconfortable de devoir voter sur leur propre rémunération. Pourtant, il s’agit d’une question de société importante, car le niveau de rémunération d’un poste électif a une incidence sur la motivation à quitter son emploi pour se présenter aux élections municipales, sur la conciliation travail-famille des élu.e.s et de façon générale, sur la reconnaissance du travail des élu.e.s.
La situation actuelle
À Sherbrooke, en incluant les allocations et les primes, le maire gagnait, en 2018, 169 000 $ et les conseillers et conseillères gagnaient en moyenne 67 000 $. Pour ces derniers, leur revenu est composé du salaire de base de 33 714 $, d’une allocation de dépenses forfaitaire de 16 595 $ et de primes associées à diverses responsabilités supplémentaires. Le tableau suivant montre le salaire actuel des élu.e.s de Sherbrooke.
Ce qui frappe dans ce tableau, c’est la grande disparité entre le salaire de certain.e.s élu.e.s. L’écart-type dans la rémunération des élu.e.s est de 12 021 $ et le salaire du conseiller le moins bien payé correspond à 57 % du salaire de la conseillère la mieux payée (qui est elle-même à 59 % du salaire du maire). Même si en moyenne le salaire des conseillers et conseillères représente environ 40 % du salaire du maire, ce sont quand même 10 conseillers et conseillères sur 14 qui se retrouvent sous cette marque de 40 %. Ces disparités s’expliquent notamment par les différences notables entre les différentes primes.
Les primes totalisent approximativement 269 000 $, soit 24 % de la masse salariale des élu.e.s. Celles-ci vont de 1872 $ (pour siéger à Valoris) jusqu’à 20 992 $ (pour présider le comité exécutif). Ces montants supplémentaires sont associés à des nominations qui sont faites par le maire de la Ville. En effet, sauf pour les présidences d’arrondissement — qui sont votées par les conseillers et conseillères de chaque arrondissement —, les nominations sur les différents comités et corporations municipales sont effectuées par le maire et entérinées par le conseil. On parle donc d’environ 188 000 $ de primes qui sont distribuées, bon an mal an, à l’entière discrétion du maire.
Soulignons qu’il est difficile d’établir un lien entre la charge de travail liée à une fonction et la prime qui lui est associée. En effet, certaines présidences ou certains sièges sont rémunérés, mais ils ne le sont pas tous à la même hauteur et plusieurs ne sont pas rémunérés du tout. Par exemple, lorsqu’un élu préside le comité consultatif d’urbanisme (CCU) de son arrondissement et qu’il siège au CCU central, cela lui ajoute deux réunions par mois qui ne sont pas rémunérées. Les élus qui siègent au comité de revitalisation du centre-ville ou au comité de développement économique récemment créés ne touchent aucune rémunération supplémentaire. On parle en effet de plus d’une soixantaine de nominations qui ne sont pas rémunérées du tout. Bref, il est difficile de savoir sur quels principes s’est basé le conseil dans le passé pour établir quelles fonctions devaient être rémunérées ou non et le montant des différentes primes.
Comment fixer le salaire d’un ou d’une élue?
La réflexion sur un possible ajustement de la rémunération des élu.e.s au municipal a été provoquée par la nouvelle imposition fédérale de l’allocation de dépenses des élu.e.s. Selon la Loi sur le traitement des élus municipaux, cette allocation est fixée à 50 % du salaire de base, mais ne peut dépasser 16 767 $. Elle était non imposable jusqu’en 2018 et versée, selon la loi, « à titre de dédommagement pour la partie des dépenses inhérentes au poste ». En réalité, cette allocation est perçue par les élu.e.s comme un salaire et l’impact de cette nouvelle imposition signifie une baisse d’un peu moins de 3000 $ sur le revenu net des membres du conseil. Ce changement législatif a eu pour effet de soulever la question générale de la rémunération des élu.e.s. dans plusieurs villes du Québec. L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a aussi encouragé ses membres à se pencher sur la rémunération des élu.e.s dès que possible.
Pour réfléchir à une telle question, il est souvent opportun pour les élu.e.s de faire appel à des ressources externes et neutres pour les conseiller en matière de rémunération, comme cela s’est fait au palier provincial en 2013. C’est pourquoi, en août dernier, le maire Lussier a confié au notaire et ancien conseiller municipal Bernard Tanguay le mandat d’étudier la rémunération des élu.e.s à Sherbrooke et de faire des recommandations. Le rapport n’a toujours pas été présenté publiquement.
Il n’y a malheureusement pas de calcul magique pour déterminer le juste salaire d’une personne, qu’elle soit médecin, plombière ou conseiller municipal. L’Union des municipalités du Québec a tout de même souhaité aider les municipalités en mettant au point un outil pour permettre aux élus et élues de juger de la « zone de rémunération » qui correspond aux « caractéristiques de leur rôle et de leur municipalité. » Pour Sherbrooke, l’UMQ considère que le salaire d’un conseiller ou d’une conseillère devrait se situer entre 10 % et 50 % du salaire du maire ou de la mairesse, une fourchette assez large, avouons-le. L’outil de l’UMQ tient compte de la population desservie, de la richesse foncière, des services offerts à la population, de la présence de partenaires locaux ou régionaux (universités, hôpitaux, etc.) et des aspects géographiques et climatiques. Il prévoit aussi la possibilité d’une rémunération pour les fonctions supplémentaires des élu.e.s : les fameuses primes évoquées plus haut.
En ce moment, à Sherbrooke, le salaire de base d’un conseiller ou conseillère municipale équivaut à 23 % du salaire de base du maire et son salaire global médian (62 500$) équivaut à 37 % du salaire global du maire. À titre comparatif, le salaire d’un.e député.e de l’Assemblée nationale équivaut à 49 % du salaire du premier ministre du Québec. À Gatineau, le conseil municipal a décidé, à la fin 2017, d’augmenter les salaires de base des membres du conseil afin qu’ils correspondent à quelque 32 % du salaire du maire, fixé à 140 000 $. Notons néanmoins qu’à Gatineau, les membres du conseil qui voyaient leur salaire augmenter renonçaient du même coup à la plupart des primes accordées pour les présidences de comités. Autrement dit, c’est comme si l’ensemble des primes étaient réparties entre chaque élu. Tel que vu plus haut, si une telle répartition des primes avait lieu à Sherbrooke, le salaire des conseillers et conseillères pourrait atteindre 40 % du salaire du maire, à environ 69 000$ par année.
Les salaires des élu.e.s par rapport à ceux des fonctionnaires
Il est aussi possible, à titre indicatif, de comparer les salaires des élu.e.s aux salaires des fonctionnaires municipaux. Selon les derniers états financiers (2017 – p. S43) de la Ville, les 475 cols blancs recevaient une rémunération moyenne (sans les avantages sociaux) de 54 000 $ ; les 636 cols bleus recevaient 55 000 $ en moyenne ; les 209 policiers et policières recevaient 109 000 $ et les pompiers et pompières, 85 000 $. De leur côté, les 218 cadres et contremaîtres de la Ville recevaient une rémunération moyenne de 99 000 $. Il faut néanmoins être prudent avec ces moyennes puisqu’elles cachent, comme pour les élu.e.s, des disparités importantes. Notons qu’à la Ville de Sherbrooke, le directeur général gagne un salaire plus élevé que celui du maire et les différents directeurs et directrices de services gagnent approximativement le double du salaire des conseillers et conseillères.
La charge de travail des élu.e.s
Si le ratio entre le salaire des membres du conseil et celui du maire est un indicateur intéressant, il est aussi important d’analyser la charge de travail des élu.e.s, d’autant plus que par définition, la fonction de conseiller ou de conseillère est considérée comme une occupation à temps partiel, même si aujourd’hui la majorité d’entre eux s’y consacrent à temps plein.
Les données sur la question sont à peu près inexistantes dans le domaine municipal au Québec. Néanmoins, en 2014, dans la foulée du projet de réduction du nombre d’élu.e.s du maire Bernard Sévigny, le Mouvement Sherbrooke Démocratie avait mené un sondage auprès des élu.e.s sherbrookois.e.s pour tenter d’évaluer leur charge de travail. Le taux de réponse au sondage était plutôt bon : 13 conseillers municipaux et d’arrondissement ont accepté de répondre au sondage. L’exercice a permis de découvrir qu’en 2014, les conseillers et conseillères consacraient en moyenne 28 heures par semaine à leurs fonctions d’élu.e.s. Pour les conseillers d’arrondissement, ce chiffre était en moyenne de 25 heures par semaine, et pour les conseillers municipaux, de 29 heures par semaine. Les femmes ont affirmé travailler plus d’heures par semaine, soit 36 heures en moyenne. Au cours de la semaine précédant le sondage, les conseillers et conseillères auraient travaillé en moyenne 31 heures, ce qui ne varie pas pour les conseillers d’arrondissement et les conseillers municipaux. Toutefois, durant cette période, les femmes auraient travaillé 37 heures en moyenne.
Notons que c’était là le constat avant la réduction du nombre d’élu.e.s. Lors de l’élection de 2017, les conseillers municipaux sont passés de 19 à 14 et les conseillers et conseillères d’arrondissement sont passés de 4 à 2, avec l’abolition de l’arrondissement de Brompton. On peut donc raisonnablement présumer que les heures travaillées par ces 5 conseillers municipaux et 2 conseillers d’arrondissement se sont ajoutées à la charge de travail des 14 conseillers et conseillères (et 2 conseillers d’arrondissement) du présent mandat. Si on exclut les heures consacrées aux séances du conseil municipal et des conseils d’arrondissement, on se retrouve tout de même avec quelque 110 heures à répartir, ce qui équivaut à environ 8 heures par élu.e, pour une estimation totale d’environ 36 heures par semaine par élu.e. Il ne faut donc pas s’étonner en 2019 de voir la plupart des élu.e.s sherbrookois.e.s se consacrer à temps plein à leurs fonctions.
Il va de soi qu’une réflexion sur la rémunération des élu.e.s doit nécessairement inclure une considération de leur charge de travail. Cela implique de se questionner sur la pertinence de certains comités à la Ville de Sherbrooke. Cette réflexion sera l’objet d’un prochain billet de blogue.
Et vous qu’en pensez-vous ? Combien vaut un conseiller ou une conseillère municipale ? Est-ce que le travail d’élu.e devrait correspondre à une occupation à temps partiel ou à temps plein ? Devrait-on abolir les primes ?
Répondez à notre questionnaire sur les salaires des élu.e.s!